Le semi-démon observa ses compères disparaître de la mairie du coin de l’œil. En effet, à peine Sokar, Kemeshene et Larxene disparaissaient, les ombres commençèrent à se rapprocher inexorablement. Avec un petit sourire en coin, Eijin déploya une main vers eux. Certains s’arrêtèrent, interloqués, d’autres montrèrent les gros et maugréèrent qu’il n’avait pas à combattre. Pour ça, ils pouvaient être rassurés, il ne combattrait pas. Par contre, il n’y avait rien de spécifié contre le fait qu’il déploie sa magie autour de lui, non ? Si ce n’était pas agressif, il en avait le droit. Ainsi, une bulle violacée emmitoufla le semi démon, bloquant les ombres à l’entrée de celle-ci. Les moins intelligentes d’entre elles tentèrent de forcer le champ de force, mais aucune n’y parvint. Les autres se contentèrent de jeter un regard désabusé à leur chef. Celui-ci découvrit ses dents dans un rictus grotesque. Il s’approcha à pas lents du semi-démon, son manteau d’ombres traînant par terre. Il appuya la main sur le champ de force, tandis qu’Eijin prenait ses aises et s’asseyait sur une chaise qu’il prit soin d’épousseter.
[Chef des ombres :] « Intéressant, à croire que vous aimez jouer avec les mots, semi démon. Cependant, ne croyez pas avoir gagné pour autant. Vos forces finiront bien par vous abandonner … et ne pensez pas que vos amis viendront vous chercher … Jamais une ombre ne s’est laissée capturée aisément, nous sommes un peuple libre, le savez-vous ? Je ne suis pas leur chef, ni leur roi d’ailleurs. Il se trouve que … »
« T’en avez encore des monologues aussi long parce que si c’est ça, apporte moi une couchette, pas trop envie de t’écouter déblatérer là. »
L’ombre géante sembla un instant se replier sur elle-même puis elle offrit à nouveau son sourire carnassier au semi-démon. Il commençait à l’énerver, un bon point. Il était connu que l’on commettait plus d’erreur lorsque la colère nous prenait. Eijin retourna son sourire à l’ombre puis il se mit à se balancer sur sa chaise.
« Donc tu disais que mes potes aller en baver, c’est ça ? En gros, que le légendaire Sokar Séda aurait du mal à bousiller une ombre de moindre acabit ? Ouais, à d’autres … Enfin, si c’est le cas, notre contrat est nul. »
[Chef des ombres :] « Vous vous trompez, mon cher … ami. Je n’ai spécifié que le don de mon serviteur, pas sa soumission totale ! Et puis, quand aurais-je eut le temps de lui donner des directives d’insubordination ? Tout s’est passé si vite … »
Le semi démon grimaça, l’ego de la créature, ainsi que tous ses airs sibyllins commençaient à lui soulever le cœur. Il le fixa droit dans les yeux, jusqu’à ce que l’ombre trouve un autre endroit à regarder. Il avait tout planifié dès le début cet enfoiré … et ce n’était pas Sokar qu’il voulait, c’était lui. Comment avait-il pu prévoir tout ça ? Cela restait un mystère … mais un quelconque don de double vue n’était pas à écarter.
« Ouais, je vois. Sinon, t’as un autre plan surprise ? Histoire de passer le temps. Je sais très bien que tu me tomberas dessus à un moment où l’autre, mais pourquoi pas se divertir en attendant ? »
Le faire parler était la clef. Eijin était certain de s’en tirer vivant grâce à quelques atouts qu’il gardait en réserve. Plus il en apprendrait, plus il pourrait aider Ofoyiss …
[Chef des ombres :] « Si sûr de vous, voilà qui m’émeut fort. Peut être cela vous intéressera-t-il de savoir ce qu’il adviendra de vos amis … Enfin, dans la mesure du possible. »
L’ombre leva une main et l’un de ses sous-fifres disparu pour se loger dans celle-ci. Le chef en tira une immense boule ténébreuse où les trois amis d’Eijin apparurent. Il put ainsi contempler la fuite de l’ombre, ainsi que l’attaque des moines satanistes. Mais à aucun moment il ne remarqua la disparition du chef des ombres. Ce ne fut que lorsqu’il le contempla à l’intérieur de la sphère nébuleuse qu’il se rendit compte de son absence. Pourtant, il ne songea pas à se détourner de la sphère. Il fut parcourut d’un frisson glacial puis grâce à un effort surhumain, il se détourna su spectacle. Il se sentait comme endormit. Titubant un peu, Eijin se leva de son siège et dissipa la sphère de sa main. Comment était-elle entrée dans sa sphère de protection ? Il n’en avait aucune idée .... Le semi démon se tourna alors vers les ombres restantes et les toisa de toute sa hauteur.
« Pourquoi est-ce qu’il s’est barré ? »
La nouvelle fut accueillie par un frémissement parmi les ombres, et certaines répétèrent même sa phrase en écho. Eijin fronça les sourcils puis il se mit à observer les ombres. Elles semblaient comme en veille, plus aucune ne bougeait. Il baissa progressivement sa garde magique puis il s’avança vers l’ombre la plus proche. Il claque ses doigts devant elle puis s’en détourna. Un simple sort d’illusion … Comment avait-il pu se laisser berner si facilement ? Il en était presque écoeuré ! De rage, il saisit la première ombre à sa portée et la tira vers lui. Celle-ci ouvrit alors grand les yeux puis découvrit ses crocs avant de s’évanouir. Il la lâcha au sol.
Les milliers d’ombres présentes étaient comme ébahies par le mur du fond de la mairie. Suivant leur regard, il distingua dans la pénombre un rideau, tissé dans les mêmes ténèbres que les créatures. Il s’avança vers lui et le tira d’une main ferme. Ce qu’il vit alors faillit le faire vomir. Un immense bras décharné sortant du mur … Et au milieu de la paume de la monstrueuse main blafarde, un œil possédant l’éclat du rubis darda sur lui un regard de braises. L’œil lâcha un rayon ardent que le semi démon esquiva sans peine, mais une multitude d’ombres y laissèrent leur peau. N’écoutant que son courage … et surtout sa hargne, Eijin dégaina sa lame immaculée et bondit en une fraction de seconde sur l’immense membre. Il se plaqua à côté de l’ouverture, tandis que l’œil le cherchait dans tous les coins. Evidemment, le semi démon s’était placé hors de portée. Le rideau retombé, le bras se relâcha puis finit par s’immobiliser. Qu’était-ce donc que cette horreur ? Et comment cela se faisait-il qu’elle se trouve juste derrière le mur ? Eijin observa alors de plus près l’ouverture dans le mur … qui n’en était pas une. Plutôt une sorte de faille glissant dans un autre … endroit, un autre monde ?
Soudain, un cri inhumain retentit de l’entrée de la mairie. Un cri de rage qui émanait du chef des ombres. Les rideaux de ténèbres s’écartèrent alors violemment, révélant Eijin, et le bras gargantuesque. Le semi démon fixa un instant le chef des ombres dont la colère avait décuplé la taille. Doucement, il apposa son épée bâtarde contre la peau du bras qui commençait à bouger de nouveau. La main s’ouvrit lentement puis elle s’affaissa, sentant le métal glacé contre son épaule. L’ombre gigantesque darda un doigt accusateur sur le semi démon.
[Chef des ombres :] « Dégage de là ! Laisse le Raven en paix, où il t’en cuira. »
Le semi démon tiqua alors. Raven … il était sûr d’avoir déjà entendu ça quelque part … Croft …oui, Ravencroft. La petite ferme noire comme l’ébène, la petite ferme du Raven. Il savait qu’il avait quelque chose d’important qui lui passait sous le nez, mais quoi ? Il l’ignorait, pour le moment. Restait ce mot : Ravencroft, d’où le connaissait-il ? D’où venait-il … et plus important, pourquoi en connaissait-il sa signification ? Il éluda ces problèmes pour l’instant, préférant se concentrer sur l’ennemi de taille qui lui faisait face … et celui qu’il avait sur le côté.
« Je vois que sa santé te tiens à cœur. S’il est si important que ça, je n’ai qu’à le … raccourcir ! »
D’un geste mesuré, et net, il fit décrire une courbe à sa lame et la rengaina dans le même mouvement. Grâce à ses dons, il ne lui fallut qu’un seul coup et le bras s’éjecta du mur pour retomber lourdement à ses pieds. Des filaments jaillirent alors du membre et fusèrent vers le passage avant de s’y engouffrer, mais il était trop tard, le semi démon l’y avait déjà précédé. Le trou dans le mur se referma aussi tôt que le bras y eut disparu. Et la dernière chose qu’Eijin put voir fut le chef des ombres, tombant à genoux, hurlant au désespoir, et les milliers d’ombres qui fusaient vers lui. Il ne regretta pas un instant son geste totalement fou et stupide, jusqu’au moment où un grognement rauque l’ébranla jusqu’aux os. Le museau du Raven lui faisait à présent face … Il fallait être fou pour s’aventurer dans le monde des ténèbres, celui que les érudits nommaient d’un noir humour « la petite ferme ».